Il y a des parcours qui forcent l’admiration. Le Tour Divide en fait clairement partie. 4 400 kilomètres de pistes, de cols, de solitude, de poussière et de dépassement de soi. Chaque année, ils sont quelques centaines à se lancer à l’assaut de cette trace mythique entre Banff et Antelope Wells. Et cette année, un Français a franchi la ligne d’arrivée, fatigué, sûrement vidé… mais surtout, transformé.
Quand on suit le Tour Divide derrière un écran, on voit passer des chiffres, des photos de montures chargées, des cartes GPS et des visages tirés. Mais derrière tout ça, il y a des histoires. Des vraies. De celles qu’on vit au fond des tripes, quand le corps fatigue mais que l’envie pousse encore. De celles qu’on a envie de partager au coin du feu ou à la table d’un refuge.
Alors aujourd’hui, je te propose de découvrir le récit brut, sincère et plein d’enseignements d’un rider qui a vécu cette aventure de l’intérieur. Préparation, setup, galères, moments de grâce et conseils pour se lancer : il nous raconte tout…
Sommaire
Présentation de Louis Duclaux et son parcours en bikepacking longue distance
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Louis Duclaux, 29 ans, j’habite à Tours, ou je suis ingénieur dans le secteur du nouveau nucléaire. Je me déplace principalement à vélo depuis que j’ai commencé à travailler, il y a 6 ans, au début par praticité. J’ai peu à peu commencé à faire du km le week-end et les soirs en semaine. J’ai cherché à aller toujours plus loin et c’est comme ça que j’ai fait mon premier 300+ km entre Tours et Le Croisic sur mon triban RC100 qui m’a couté moins que ma selle actuelle. Ça a été un changement assez brut dans ma pratique du sport après avoir passé plus de 10 ans à pratiquer le judo, et à moindre échelle la lutte, deux sports plus en accord avec mon physique.
Est-ce que c’était ta première grande aventure en autonomie, ou tu avais déjà de l’expérience ?
Mis à part quelques week-end en solo j’ai participé aux Badlands (750Km et 15000m de D+) et à la Basajaun (800Km et 15000 de D+). Deux courses sous forme de boucle au sud et nord de l’Espagne en 2023 et 2024. Comme le TD il s’agit d’une trace à suivre en totale autonomie avec un temps maximal et sans classement final officiel. Ce qui change principalement avec la TD c’est le fait qu’il n’y ait pas d’organisation officielle, aussi bien avant la course que pendant.
Comment as-tu découvert le Tour Divide ? Et à quel moment tu t’es dit “je vais le faire” ?
En trainant sur YouTube 😄 Il y a environ 4 ans je commençais à m’intéresser à l’ultracyclisme, passionné par les distances qui étaient parcourables « musculairement » grâce au vélo. Il me semble que la première vidéo que j’ai vu était « I just want to ride » centrée sur le TD2019 de Lael Wilcox. Ça m’aura pris du temps, car ce n’est certainement pas une décision à prendre à la légère mais un matin en me réveillant je me suis dit « go », les planètes étaient alignées pour concourir en 2025. J’avais la forme physique, le temps, de l’argent de côté et le recul nécessaire pour une préparation solide et de l’expérience sur des courses d’ultra gravel/vtt avec du dénivelé dans un environnement difficile.

Préparation pour le Tour Divide 2025
Combien de temps tu t’es préparé avant le départ ? (physiquement, logistique, mentalement)
Je me suis décidé en novembre 2024 pour juin 2025. J’étais déjà dans une bonne condition physique mais j’ai commencé une préparation plus « professionnelle », perte de poids, exercices ciblés jambes à la salle etc. La logistique était la grande inconnue, je n’avais jamais voyagé en avion avec mon vélo, je me suis beaucoup aidé du site « One of seven project » qui est une mine d’informations importantes et globalement le seul car le site officiel n’est pas mis à jour depuis des années. Mentalement il ne faut pas laisser de place au doute et se préparer au mieux avec le temps à disposition, ça demande quelques sacrifices.
Qu’est-ce qui t’a donné le plus de fil à retordre pendant les préparatifs ?
Être sûr de la date du départ, pas facile sans site officiel et à jour et décider de comment envoyer le vélo pour qu’il arrive à temps et en un seul morceau 😄.
Tu avais une stratégie de course ? Ou tu as plutôt roulé au feeling ?
« Ride hard, sleep hard ». J’avais prévu de rouler principalement de jour entre 5h et 22h, faire un maximum de Km sur cette plage horaire pour dormir au minimum 6h par nuit et être capable de tenir jour après jour. En fonction de ça j’ai passé pas mal d’heures en amont de la course avec ma compagne à étudier le D+, le type de revêtement et les points de ravitaillement possibles pour établir des objectifs journaliers. Bien sûr il faut laisser de la place au feeling car rien ne se passe jamais totalement comme prévu. Mais un peu de préparation permet d’éviter des situations qui peuvent rapidement finir mal lors du TD.
Choix du vélo pour le Tour Divide
Tu es parti avec un Rockrider Race 900 modifié maison. Pourquoi ce cadre en particulier, et qu’est-ce qui t’a poussé à y greffer un guidon drop bar ?
Je me suis renseigné sur les setups des années précédentes, plusieurs facteurs reviennent régulièrement, notamment, le diamètre des roues, la largeur des pneus, l’aéro et le confort.
Actuellement les vélos gravel sont limités à des passages de 45mm à 50mm maximum, le cadre VTT vient régler ce problème. Le cintre quant à lui me permet plusieurs positions donc plus de confort et un avantage aéro lors des journées full vent de face (il y en a eu quelques-unes …). Un autre avantage est la possibilité d’utiliser une fourche suspendue avec un grand débattement.
Enfin, il y a aussi l’esthétisme à prendre en compte car c’est toujours plus sympa de rouler sur un vélo qui nous plait donc je cherchais un cadre blanc et de préférence de marque française. Le drop bar quant à lui, donne au vélo un style « monster gravel » qui me plait bien. Aussi, le montage maison apporte de l’intérêt à cette course d’ultra endurance et à la machine avec laquelle je vais passer presque 24 jours, dont une partie de la réussite en dépend. En bref c’est un setup spécifique qui a pour but de cocher le maximum de cases pour cette course hors du commun.

Monter soi-même un drop bar sur un VTT, c’est pas courant. Tu peux nous expliquer comment tu t’y es pris ? Quels ont été les défis techniques ?
Il faut faire attention aux compatibilités entre les marques (différences entre les huiles hydrauliques entre sram et shimano ou le pas du câble de dérailleur) mais aussi entre les gammes d’une même marque. Ensuite comme le drop bar donne une position plus en avant par rapport au cintre droit prévu pour ce cadre, il faut prendre en compte la modification lors du choix de la taille du cadre. Mais finalement ce n’est pas si compliqué, avec un peu d’expérience, de patience et les bons outils.
Niveau transmission, tu roules sur un mix Shimano GRX / Deore XT en 1×12. Qu’est-ce qui t’a convaincu d’opter pour cette combinaison ? Tu as hésité avec d’autres groupes ?
J’ai toujours roulé en Shimano jusque-là, donc j’ai fait ce choix par confiance et simplicité. Aussi par simplicité, je souhaitais rester sur un dérailleur par câble et éviter de me soucier des batteries. En plus, les deux gammes sont compatibles sans « bidouilles » avec un bon rapport qualité/prix pour utiliser un drop bar avec une transmission type VTT.
Le 36 dents à l’avant avec une 10-51 à l’arrière, c’était suffisant dans les gros cols du Colorado ?
Parfait, rien à redire là-dessus. Bien que beaucoup de participants roulaient avec un plateau 34T, le 36T m’a convenu tout du long.
Rencontres marquantes, défis physiques et moments forts du Tour Divide 2025
Qu’est-ce qui t’a le plus marqué sur le parcours ?
Je suis tombé face à face avec un ours noir assis au milieu de la « route » juste avant Steamboat Springs, il était à environ 7m, aussi effrayant que magnifique.
Le bike shop qui a réparé mon rayon cassé m’a laissé après 5h de boulot, uniquement sur mon vélo, avec, une roue voilée, un écrou dans la jante et l’anneau de retenue de ma cassette désaxé et forcé dans le pas de vis… ce qui m’a amené à une belle rencontre avec un des coureurs et deux ranchers qui m’ont aidé à bricoler tout ça pour que ça tienne jusqu’à la prochaine ville 500km plus loin.
Plus généralement, les gens que j’ai croisé sont formidables. Ça va des applaudissements des gardes forestiers au vieux cowboy qui te sort un gros pouce vers le haut (celui-là il te donne un max de stamina) en passant par toutes les glacières remplies de muffins et de coca avec des mots sympa et des supers pit stop comme « brush moutain lodge ».



Quels ont été les moments les plus difficiles pour toi ? Et comment tu les as surmontés ?
J’ai commencé la course avec une douleur au genou gauche qui a duré deux jours, j’ai forcé et bougé de quelques mm ma selle par-ci par-là et ça a finalement disparu. Physiquement c’était quelque chose mais mentalement s’en est autre de se demander si ça a un sens de souffrir encore les 3 prochaines semaines et de ne pas bien en profiter. J’ai aussi passé une nuit à -2 sur un matelas crevé. Là, pour le coup pas le choix, c’est 2-3h de sommeil max et on repart pour une journée.
Tu as rencontré d’autres riders ? L’ambiance était plutôt « solitaire » ou « groupe » ?
J’ai croisé pas mal de monde et dans les deux sens. J’ai roulé plusieurs fois 1 à 5h avec la même personne côte à côte, on se perd en montée puis on se retrouve quelques minutes plus tard etc et j’ai partagé des chambres de motel ou monté un camp avec d’autres gars. Des petits groupes se créent mais globalement je préfère rouler seul dans ce type de course.
Comment tu gérais l’alimentation et le sommeil pendant ces longues journées ?
Je savais ou j’allais refaire mes stocks de nourriture 2 jours à l’avance. Il est quand même arrivé plusieurs fois que les magasins soient fermés et les rivières asséchées par les incendies donc il faut prévoir un peu de marge. Je ne faisais pas de sieste, seulement 6h de sommeil la nuit.
Tu as roulé de jour comme de nuit ? Tu avais une routine ?
Réveil à 5h sauf si j’avais trouvé un motel ou je rechargeais au mieux mes batteries 2h de plus. J’ai passé 6 nuits soit en motel soit en community center et le reste en tente. Globalement j’essayais de rouler de jour donc sur une plage de 5h à 22h avec une pause de 30min à 1h pour faire un gros repas.
Quelle partie du parcours t’as semblé la plus technique ou piégeuse ?
Il y a plusieurs de zones techniques malgré ce que j’avais lu (on est loin d’avoir uniquement de longues pistes de gravier). La plus dangereuse est à l’entrée du Nouveau-Mexique avec un itinéraire du Continental Divide Trail, éreintant. Il me semble que j’ai fait 9km/h de moyenne ce jour-la.



Matériel et Setup sur le Tour Divide : retour d’expérience
Ton matériel a-t-il bien tenu ? Un élément en particulier t’a sauvé… ou lâché ?
J’ai cassé un rayon arrière à environ 2000 Km sur un terrain très cassant mais la roue avait déjà encaissé une course plus un transport en avion. Les pneus sont excellents, une légère crevaison à l’avant au bout de 4300 Km, j’ai changé l’arrière par précaution à 2500 Km mais il aurait sans doute pu finir la course.
J’ai dû bloquer ma fourche en fin de course car je sentais un jeu et pour le moment je ne connais pas le problème, un tour à l’atelier s’impose. PS : je fais + de 100kg 😄
J’embarquais deux batteries de 20 000 mAh, je n’ai utilisé la deuxième qu’un fois mais j’aurais bien été embêté de ne pas l’avoir. Crevaison de mon matelas forclaz pendant une nuit à -2, je n’ai jamais trouvé la fuite donc j’ai acheté un Big Agnes Divide beaucoup plus confortable sur la route. Ah et gros fail sur les couvre-chaussures Velotoze qui se sont déchirées lors de la première utilisation.
Tu es plutôt minimaliste ou prévoyant niveau équipement ?
Un entre deux sûrement, toujours de quoi réparer les petits problèmes mécaniques, des habits pour tous les temps, le minimum pour l’hygiène et les blessures. J’ai aussi opté pour une tente contrairement au tarp. Tout ce que j’ai emmené m’a été très utile voir vital. Je ne me vois pas avec moins d’équipements, du moins pour une première édition.
Ton avis sur les sacoches que tu avais ?
Ma Tailfin sous le cadre a pris l’eau je ne sais pas vraiment comment, surement en passant l’une des rivières. Côté Restrap rien à dire, ça fait toujours le job. Première fois que j’utilisais les sacoches aero, elles sont un peu lourdes à la sensation avec le rack mais très résistantes, de bonne contenance, faciles à remplir car lisses à l’intérieur et surtout super étanches.
Si tu devais refaire le Tour Divide demain, tu changerais quoi dans ton setup ?
J’ajouterais 2 litres d’eau, peut être sur la fourche ou dans la sacoche du cadre. Aussi un cadre full suspendue serait une option à envisager, le terrain étant beaucoup plus cassant que je ne l’aurais imaginé. Et enfin ajouter des sur-chaussures en néoprène.
Choix techniques et les adaptations maison
Pourquoi avoir choisi les Vittoria Mezcal en 2.35” ? T’as eu des doutes sur le volume ou la résistance au roulement ?
Je suis plus habitué aux Conti Race King qui ont une plus faible résistance au roulement mais moins de grip de de résistance à la crevaison. Pour ce choix j’ai suivi l’avis assez rependu d’être un pneu très adapté à ce parcours et il est aussi utilisé par Lachlan Morton en 2023 pour réaliser le meilleur temps à cette époque.
Tu as roulé avec une selle Ergon et des extensions 52A. Est-ce que tu les recommanderais pour ceux qui prévoient une épreuve longue distance ? Quels bénéfices concrets t’en as tiré pendant la course ?
Ergon est une excellente marque mais ce choix est très personnel car propre à chacun, pour moi cette selle est parfaite. Aussi j’ai fait plus de 15 000 KM avec et elle est comme neuve. En ce qui concerne les prolongateurs, je les emmène sur toutes mes balades de plus d’une journée. La forme des prolongateurs 52A est confort, ils permettent un gain aero non négligeable mais surtout de se reposer les mains (très utile lorsqu’on ne sent plus ses doigts à cause de la pression) et à se détendre le dos. Cette position favorise l’utilisation d’autres muscles et c’est pour moi un must-have sur cette distance. Je m’en sers aussi pour y accrocher mon gps et une sacoche dans laquelle j’avais mon sac de couchage.
Ta solution avec la Tailfin sous le tube diagonal, c’était prévu dès le départ ou un ajustement de dernière minute ? Elle t’a bien servi ?
Oui c’est un ajout de dernière minute, bien vu ! Il me manquait un peu de place pour charger de la nourriture. Sa forme est optimisée et elle m’a permis de libérer de la place dans les autres sacoches. J’y avait stocké toutes mes pièces de rechange et par chance elle ne m’a servi qu’au 22ème jour pour une mèche dans mon pneu avant.

Ton système de couchage avec la tente Big Agnes HV UL1 et le sac Mammut -11°C, ça a bien tenu le coup ? Tu as eu froid à certains bivouacs ?
Selon l’altitude je dormais avec toutes mes couches en plus du sac de couchage, mais sauf la nuit ou j’ai crevé mon matelas je n’ai pas eu de problèmes avec le froid. Cette tente est superbe, jamais de problème d’humidité, elle est légère et compact. La taille est bien même pour mes 1,90m, on peut même s’y assoir pour manger et se préparer le matin.
Tu as choisi un combo simple pour la navigation : un Garmin 1030 Plus et un iPhone avec Komoot. Est-ce que tu as rencontré des galères de signal, de batterie ou d’orientation ? Tu t’en es toujours sorti ?
Je n’ai pas eu à me servir de mon téléphone. A la différence de mes autres courses j’avais coupé la trace gpx en 5 parties pour n’avoir que peu de temps de chargement le matin. La seule difficulté est que ce modèle est encore en micro usb, il charge lentement et la prise est un peu lâche. Sinon rien à signaler, s’il me lâchait je partirais sur le même avec panneau solaire intégré comme le 1040 solar.
Mental et résilience : tenir face à l’adversité
Tu as eu envie d’abandonner à un moment ? Qu’est-ce qui t’a poussé à continuer ?
Je n’ai jamais eu envie, mais j’ai eu peur de devoir après mes 2 premiers jours accompagnés d’une douleur de plus en plus forte au genou ou lorsque ma cassette s’est désassemblée au milieu de nul part.
C’est une course qui demande beaucoup de préparation, d’investissement et qui représente pour moi un accomplissement de mon aventure de l’ultracycling. J’ai aussi été énormément épaulé par mes proches et mon entourage depuis l’annonce de ma participation. En somme l’abandon n’était pas une option.
Quelle place a joué le mental sur un défi aussi long ?
Si l’on fait abstraction du côté hasardeux de l’environnement et du climat, je dirais que le mental correspond à 80% de la course.
Tu méditais ? Tu écoutais de la musique ? Ou juste le bruit des pneus dans la terre ?
Un peu de musique, beaucoup de podcasts, parfois rien et il m’arrivait de chanter à tue-tête surtout dans les « single track » des zones peuplées de grizzly et d’ours 🙂

Après la ligne d’arrivée
Qu’as-tu ressenti en arrivant à Antelope Wells ?
J’ai eu l’impression de souffler trois fois l’air de mes poumons, j’avais enfin touché la grille à laquelle je pensais constamment depuis trois semaines. La peur de devoir abandonner pour plein de raisons différentes n’était qu’un souvenir. Un bref instant d’euphorie et je me suis allongé sur le bitume le sourire aux lèvres.
Tu as mis combien de temps à redescendre de l’aventure, physiquement et émotionnellement ?
Physiquement entre la course et le décalage horaire j’ai mis environ 3 semaines à m’en remettre. Émotionnellement c’est plus compliqué à juger, je dirais 2 semaines à me rendre compte de ce que j’ai fait mais je me sens changé par cette aventure et je sens un avant/après dans ma perception du monde.
Tu as gardé contact avec d’autres bikepackers du Tour Divide ?
Oui, avec quatre d’entre eux ! On s’est envoyé quelques photos par mail. Et plus particulièrement avec un, avec qui on est allé boire une bière bien méritée à El paso après la course et que j’hébergerais lors de son prochain trip à vélo.
Cette expérience t’a changé ? En quoi ?
Oui, profondément. Pendant des semaines, tu vis dehors, seul avec ton vélo, ton corps et ton mental. Il faut avancer quoi qu’il arrive : la pluie, le froid, la neige, la chaleur écrasante, la boue, les douleurs, la peur des grizzly… tout devient secondaire face à un seul objectif : continuer, car finir parait trop loin, chaque jour est une bataille pour la victoire.
Mon corps a changé, je me suis vu maigrir en très peu de temps et m’abimer physiquement, mais mon rapport à lui à lui aussi changé. J’ai appris à écouter chaque signal, à distinguer la douleur normale et celle qui indique une blessure en devenir. Mon corps est devenu un outil brut, résistant, endurant dont je suis fière et que je ne juge plus comme j’aurais pu le faire suite des blessures par le passé.
Mentalement, je suis allé loin dans la résilience, c’est la première fois que j’ai eu peur de mourir. J’ai passé de longues heures sans énergie, de confort, de repères mais le choix de continuer sans se plaindre se fait assez naturellement.
Il y a un rush qui s’installe : manger, avancer, dormir, recommencer. Et dans cette répétition on est un rien qui à chaque tour de pédale avance dans l’immensité du paysage.
La grosse différence de « faire la course » par rapport à du touring, c’est le fait d’être dehors sous l’orage et de continuer à pédaler, ce n’est pas conformable mais il y a une beauté dans tout ça. Il s’agit de situations que l’on n’aurait pas vécu autrement. Depuis, je ne vois plus les choses de la même façon, le quotidien me paraît plus simple.

Conseils pour les lecteurs de Bikepacker.fr
Quels conseils tu donnerais à quelqu’un qui rêve de faire le Tour Divide mais n’ose pas se lancer ?
Premièrement il faut accepter que l’on ne soit jamais prêt à 100% pour le Tour Divide. Il faut avoir une idée de sur quoi on s’embarque et avoir testé au moins une fois l’ultra sur une plus petite distance pour profiter pleinement et ne pas être en constante découverte de ce que ça implique. Enfin ne pas trop réfléchir et y aller. Dans le pire des cas il ne peut pas arriver grand-chose. Sauf, se faire croquer par un ours ou un serpent et il y a des loups aussi. Les ravins de nuit sous la pluie c’est assez sport, ça me fait penser à la neige et donc aux pneumonies, engelures … Ah ! et les feux de forêt aussi 😄
Un conseil matos ou astuce que tu aurais aimé connaître avant de partir ?
Les rivières proches de villes minières sont parfois polluées, il faut prévoir des bouteilles d’eau en plus dans ces zones.
Les post office sont ouvertes la nuit et on peut y dormir. Les RV park font rarement payer pour une tente dans un coin et ils disposent de toilettes et de douches. Il faut prévoir pas mal de places dans les sacoches pour les réserves de nourriture.
Bonus
Peux-tu nous partager une anecdote drôle ou improbable vécue pendant la course ?
A Warmsutter un gars m’a tapoté l’épaule « Hey, I think I know you! », et c’était mon copain allemand Till avec lequel j’avais fait la Basajaun en Espagne l’année précédente. On était tous les deux recouvert de boue très loin de chez nous, assez improbable et amusant.
Un moment où tu t’es dit « Mais qu’est-ce que je fous là » ?
Je m’étais dit ça sur mes autres courses mais je n’en ai pas le souvenir sur celle-ci. Je suis resté obnubilé par le rush constant et l’objectif de toucher la grille.
Un objet inutile que tu as traîné 4000 bornes ?
Même pas ! (Bon, peut-être que les 4 chambres à air « au cas où » c’était un peu abusé)
Le meilleur repas du trip ? Et le pire ?
Le meilleur c’était à Lincoln dans le fin fond du montana au Wheel Inn Tavern, quoi que le steakhouse de Lima était pas mal non plus, le combo coca/hamburger/frite me convient plutôt bien après une grosse journée !
Le pire c’est simple, je ne me rappel plus où, mais j’avais roulé de nuit pour atteindre mon objectif. Je prépare mon camp, presque à court d’eau et le dernier truc qu’il reste à manger est un burger au jalapeños. J’ai dû mettre deux heures à m’endormir à cause du piment sur mes lèvres brulées par le soleil…
Tu as des projets d’aventures pour la suite ?
Je pense à refaire des courses de plus petite distance, de 300 à 600km notamment « Race Around Rwanda » et aussi à tester le trail, mais rien de fixé pour le moment.
Tu as des réseaux sociaux sur lesquels nous pouvons suivre tes aventures ?
Quand on écoute ce genre de récit, on comprend vite que le Tour Divide, ce n’est pas juste une course. C’est un voyage au long cours, une expérience intérieure, une suite de décisions — grandes ou petites — qui finissent par dessiner quelque chose de fort. Et ce qui impressionne le plus, ce n’est pas seulement la distance parcourue, mais l’intention derrière chaque coup de pédale. L’envie d’aller au bout. Pour soi. Pour voir.
Merci à Louis pour ce partage sans filtre. Pour les détails techniques, les galères assumées, les bons moments… et pour nous rappeler que parfois, l’aventure commence simplement par dire « Go ».